Numéro 20 : L'imaginaire


alkemie l'imaginaire



Argument sur l'imaginaire


Dans un de ses Fragments verticaux, le poète argentin Roberto Juarroz écrit : « La prétention de vouloir atteindre la raison détourne la pensée et la transmue en une rigide statuaire mentale. Se retenir au-dessous de la raison permet peut-être par contre d'entrevoir des territoires plus libres de la création humaine, tels que la poésie ou certains paysages inespérés de l'imagination. Un peu moins de raison peut nous conduire à un peu plus de raison. » Ainsi, l'imaginaire relèverait-il davantage d'une raison déraisonnée, déraisonnante que d'une raison déraisonnable. L'imaginaire est un élargissement du territoire du réel, un déploiement hercynien de nos sens. Il convoque une sorte de mémoire collective, originelle, creuset des mythologies, des religions, de toute ouvre d'art, et même de certaines découvertes scientifiques. En mathématiques, pour résoudre certaines équations, certains problèmes insolubles avec les nombres réels, un savant suisse, Leonhard Euler, eut l'idée géniale d'inventer un nombre imaginaire i, tel que i² = -1, démultipliant indéfiniment les possibilités de calcul et de raisonnement.

L'imaginaire, donc, comme secours, recours au réel. Il n'en propose pas une herméneutique, mais en est plutôt le prolongement transgressif, parfois rédempteur. Husserl définissait l'image comme une intuition participant de ce qu'il appelle la pensée flottante des choses en soi, « entre être et non-être », qui convoque une porosité sensorielle d'ordre fluente, esquissée et réfléchie, au sens où l'image procède du miroir, de la réflexion radicalement subversive de la perception du réel.

Pour Cornelius Castoriadis, l'imaginaire est l'expression de notre puissance de création. Une sorte de démiurgie de la réalité à dimension humaine, qu'il pourrait être tentant de ramener à la Weltanschauung schopenhauerienne, malgré les indénombrables passerelles existant entre réel, rationnel et imaginaire, ces points cardinaux de notre présence au monde. Ainsi, l'imaginaire serait au réel l'équivalent du rêve du papillon pour le philosophe dans la célèbre fable de Tchouang-Tseu : une permutation, transmutation indéfinie, sans élucidation possible.

Thierry Gillyboeuf




Mots-clefs : littérature, philosophie, métaphore et concept, le fragmentaire, l'autre, le rêve, le vide, Cioran, la solitude, le mal, l'être, le destin, le bonheur, les mots, le silence